Chronique 77 du premier novembre 2019
La mode
Rencontres
En accompagnant ma femme à la clinique avant son opération j’ai observé dans la salle d’attente une grande jeune femme accompagnée de deux jeunes enfants de couleur. Elle ressemblait davantage à une bourgeoise bohême qu’à une misérable sans le sou. Et pourtant elle portait un jean qui partait en lambeaux depuis les genoux jusqu’au milieu des mollets. Assise, ses genoux nus plus que minces passaient à travers les ouvertures rectangulaires donc voulue confectionnés dans les jambes du pantalon. A mes yeux, un ridicule achevé ! Au dessus des haillons un vêtement transparent en tulle noir que je ne sais comment nommer, blouse ou corsage, laissait deviner le soutien-gorge. Une bande froncée de la même étoffe courait cousue sur chaque manche pour leur donner de l’ampleur. D’où je l’observais je n’ai pas pu évaluer la qualité de cet accessoire pour apprécier si c’était un article chinois à deux sous ou la pièce d’un grand couturier à plusieurs centaines d’euros.
Plus tard j’ai revu le même jean avec les mêmes lambeaux qui marchaient dans la rue sur les jambes d’autres jeunes personnes. La façon dont étaient découpés les lambeaux sous forme de fenêtres devant les genoux montrait une volonté d’unification du ridicule afin d’en faire une mode.
Il y a une trentaine d’année alors que je mangeais un sandwich à la terrasse d’un café dans la partie la plus chique du seizième arrondissement j’étais resté abasourdi en voyant le jean d’une belle blonde bien roulée assise à côté de moi. Il portait des traces d’usure accentuées en fuseaux horizontaux qui laissaient apercevoir sa peau par endroit. Visiblement la nana avait les moyens de s’acheter des jeans neufs. Je m’étais posé des questions quand à sa santé mentale. En repérant ailleurs d’autres jeans du même acabit, j’en avais conclu que c’était une mode. Ce qui m’avait interpellé quelque part.
Puis cette mode s’est éteinte pour se ranimer maintenant très amplifiée dans sa manifestation. Qui lance de telles modes à la con qui dépassent l’entendement et sont des injures aux neuf millions de Français pauvres, et pourquoi ? Je n’ai, bien sûr, pas la réponse !
Ce qui ne m’empêche pas de me poser les deux questions suivantes : « qu’est-ce qu’il y a dans la tête d’une femme qui achète une telle sottise et probablement très cher ? » et « à quoi pense la même femme en l’enfilant le matin en faisant attention de ne pas passer ses pieds dans les trous ? ». Ce qui entraîne une troisième question : « cette femme pense-telle ou n’est-elle qu’un simple tuyau digestif muni d’un sexe, d’un tuyau digestif et d’un porte-monnaie ? ».
Histoire
L’existence de la mode ne date pas d’aujourd’hui et on peut se demander si les tribus d’hommes de Cro-Magnon ou de Neandertal ne suivaient pas déjà des modes. Ils pouvaient se peindre le visage en rouge ou se mettre une plume dans le derrière. Qui étaient les lanceurs de mode dans ces époques lointaines ? Un sorcier ? Un chef ? Un malade mental ?
Sans faire de recherche approfondie il me souvient qu’à toutes les époques de l’histoire il y a eu des modes, pour n’en citer que quelques-unes parmi les plus frappantes, chez les dominants hommes ou femmes. On a découvert en Crète sur un tesson datant du quatorzième siècle avant notre ère le portrait d’une femme qu’on a appelé la parisienne à cause de son accoutrement et de son maquillage. Chez les Romains la mode des visages blancs a intoxiqué quantité de femmes par le plomb contenu dans la céruse du maquillage. Plus près de nous au Moyen Age les femmes de haut lignage portaient un immense chapeau pointu, le hennin, au sommet duquel était accroché une sorte de voile. Henri III et ses mignons portaient des barboteuses à crevés sortes de fentes garnies de soie généralement rouges pour montrer leur richesse. Sous le directoire les robes étaient serrées par une ceinture sous les seins. Plus tard les robes seront très amples maintenues dans leur ampleur par des cages d’osier appelées paniers maintenus à la taille. Plus tard encore on imposera aux femmes des corsets pour qu’elles aient des ‘tailles de guêpe’. Certaines en mourront. Dans le même temps les hommes de la bonne société porteront des chapeaux cylindriques noirs que certains appelleront chapeaux haut de forme, chapeaux claques s’ils étaient pliants, tuyaux de poêle, ou huit reflets quand ils brillaient. Qui a inventé et lancé chez les dominants ces modes baroque au cours des siècles ?
Il semblerait qu’il y ait eu des modes chez les dominés mais elles étaient moins spectaculaires, plus humbles et plus durables que chez les dominants nantis : changer de fringue a un coût !
Aujourd’hui
Aujourd’hui la mode est partout. Dans les fringues, bien sûr, c’est là où elle sévit le plus. Mais on la trouve là où on l’attend le moins : dans la nourriture, il y a l’exotisme à la mode pour les restaurants et les destinations touristiques, mais aussi pour le matériel informatique, dans la téléphonie mobile, dans le mobilier. Même dans les carrelages. Qui peut penser casser celui de sa salle de bain périodiquement pour être ‘à la mode’ ? Il y a aussi une mode dans les arts qui détrône des façons de faire qui deviennent obsolètes ou ringardes.
Et même nos collégiens sont tributaires de la mode. Les élèves qui ne portent pas les ‘bonnes’ marques sont ostracisés par le groupe.
Nécessité de la mode
Dans les moments difficiles pour l’humanité la survie de l’espèce a probablement été possible grâce à son instinct grégaire : l’individu isolé n’avait aucune chance de survie dans les périodes glaciaires. On peut imaginer que les individus d’un même groupe ou d’une même tribu adoptait un signe de reconnaissance sur leur corps ou leur visage pour se distinguer d’autres groupes ou tribus. Aujourd’hui, par atavisme il en est de même. Il y a des modes différentes pour les différentes catégories d’individus de la société qui permet entre autre aux riches dominants de se reconnaître entre eux et ne pas être confondus avec la plèbe. Elle est portée comme une sorte d’uniforme.
Autrefois une mode vestimentaire durait relativement longtemps, des années pour le corset et le chapeau haut de forme. Aujourd’hui elle est fugace, elle dure une saison. Les défilés de mode sont censés imposer chaque année ce qui doit être porté absolument par les femmes qui veulent être dans le vent et dans une moindre mesure par les hommes. Les médiats ont une rubrique mode qui pousse à la consommation et surtout à la surconsommation qui sont les moteurs de l’économie. Mais c’est aussi un moyen essentiel pour les actionnaires de s’enrichir toujours plus. Ils prônent le renouvellement, même inutile. Si on les écoutait il y aurait une mode par jour pour les vêtements mais aussi pour tout et n’importe quoi.
Mode et gaspillage
Les gens sont moutonniers. Ils achètent ce qu’on leur dit d’acheter pour ressembler au voisin. Mais que se passe-t-il quand les moyens financiers ne permettent pas de suivre la foule ? Alors on est frustré et ce d’autant plus qu’on est plus jeune ! En vieillissant on se fait une raison et on réalise la vanité de cette consommation imposée.
Quand on a les moyens, on renouvelle bêtement et on engrange les fringues et les objets qui ne servent plus alors qu’ils sont pratiquement neufs. On se trouve donc, avec chez soi des monceaux de biens inutilisés qu’on finit par mettre à la poubelle pour faire de la place au nouveau renouvellement.
Pour fabriquer ces biens inutiles on a cultivé du coton, élevé des moutons, extrait des matériaux du sol, fabriqué des produits chimiques, filé, tissé, teint, élaboré en ateliers des fringues et autres objets et à chaque étape une multinationale en a tiré des revenus qu’elle a distribués sous forme de dividendes aux actionnaires toujours plus avides et plus exigeants. On a, disent les écologistes, pillé et épuisé les ressources de la planète grâce à la complicité des consommateurs pour la satisfaction de quelques-uns qui ne sont pas forcément ceux que l’on croit, mais surtout pour rien : on a gaspillé les ressources de la planète.
Combien de temps cela pourra-t-il durer ?
Prochaine chronique le vendredi 15 novembre