Chronique 75 du 4 octobre 2019
La volonté, un don (deuxième partie)
Et les vieux
Ce que je viens d’écrire concerne la jeune génération. Qu’en est-il des adultes qui perdent leur travail par les méfaits du capitalisme ? Pour gagner leur croûte à la sueur de leur front ils se sont engagés dans leur jeunesse à la fin de leur scolarité obligatoire dans des entreprises qui avaient besoin de main d’œuvre pour exécuter des tâches plus ou moins pénibles afin d’assurer le bon fonctionnement de notre société capitaliste. On les a glorifiés pour leur abnégation parce qu’on avait besoin d’eux, jusqu’au jour où, parce que des actionnaires avides jugeaient que les entreprises qui les employaient n’étaient plus assez rentables ou parce que les dirigeants étaient incompétents on a fermé les usines, ils se sont retrouvés sur le carreau, ce qu’on leur reproche ensuite.
Ils ont des âges plus ou moins avancés avec des bagages intellectuels limités. Ils sont désemparés et on les traite de feignants parce qu’ils ne trouvent pas de boulot alors qu’on les a rejetés sans remords du monde du travail. S’ils n’en trouvent pas c’est qu’il n’y en a pas dans leurs compétences. On fait semblant de leur de leur offrir des stages de remise à niveau de courte durée pour leur permettre d’exercer des professions qui demandent aux jeunes des années de formation. Comment ces gens toujours soumis au patron, sans grands moyens intellectuels et confrontés à leur impuissance devant la société qui les rejette trouveraient-ils la ressource psychologique pour recommencer une nouvelle carrière pleine de gloire qui les amènerai au sommet de la pyramide sociale ?
Bien sûr on trouvera toujours quelques personnes pour qui la mise au chômage a été une opportunité pour réaliser un rêve et se sortir du lot commun. Là encore l’exception n’est pas la règle, juste un alibi pour que les libéraux nantis de mauvaise foi continuent leur oeuvre destructrice. Pourquoi ces gens qu’on a virés comme des malpropres sans aucune considération, feraient-ils des efforts s’ils peuvent être nourris, mal, mais à l’œil pendant que les capitalistes qui les ont mis dans l’état où ils sont se gobergent sur des yachts de cent mètres de long ?
Enfin un petit raisonnement par l’absurde. Imaginons qu’un farceur très puissant comme Dieu ou toute autre divinité transforme un beau matin les six millions de gens comptés comme pauvres en individus méritants ultra malins, genre Rachida Dati, dans tous les domaines de la société, ingénieurs, politiques, intellectuels, médecins, etc.. Notre pauvre Attali serait mis en concurrence avec des gens aussi ou plus malins que lui et peut-être poussé au chômage. Que ferait-il sinon pleurer et gémir sur la dureté du sort que les anciens pauvres lui auraient réservé.
Lui, si intelligent, ne peut pas ne pas y avoir pensé. Il sait bien qu’il n’a rien à craindre : dans la réalité les pauvres n’ont pas les moyens de le rattraper pour le déloger, saufpeut-être avec une révolution.
Et pour finir, il doit bien savoir qu’on a besoin de bras pour effectuer les basses besognes qui ne nécessitent aucune compétence particulière mais qui sont indispensables pour assurer le bel aspect de nos civilisations. En Inde elles sont exécutées par les intouchables parce que ces travaux sont considérés comme dégradants. En occident ils sont payés des misères aux gens qui les accomplissent alors qu’ils devraient être récompensés grassement pour compenser la dureté de la tâche qu’ils accomplissent pour nous. Mais on (dont fait partie Jacques Attali) les remplace par des robots dès qu’on le peut parce qu’on trouve qu’ils coûtent encore trop cher.
Le QI n’est peut-être pas déterminant pour la réussite sociale d’enfants de bourgeois mais c’est un filtre pour les autres. Il n’est jamais nommé dans le parcours de ceux qui ont bénéficié de l’ascenseur social.
Comment fonctionnait la méritocratie républicaine dans la troisième république ? Les instituteurs enseignant en milieu modeste repéraient les élèves qui réussissaient bien scolairement et tentaient de convaincre leurs parents de leur permettre de continuer des étude. L’Etat leur accordait des bourses souvent conséquentes. C’est grâce à ce système que Camus dont la mère était illettrée est devenu Camus. Et tant pis pour ceux qui réussissaient moins bien. Peut-on affirmer sans rire que la réussite scolaire n’était pas liée au QI et que la réussite sociale n’était pas liée à la réussite scolaire ?
Aujourd’hui on a mis fin à la méritocratie républicaine. L’ascenseur social ne fonctionne plus. Pour celui qui est issu d’un milieu défavorisé, et surmonter les obstacles d’un parcours scolaire il faut un QI exceptionnel pour accéder à la reconnaissance sociale par les études de haut niveau, même si cela ne suffit pas.
Il est possible de réussir dans la société autrement que par l’étude si on dispose d’une qualité (qu’aucuns appellent une autre intelligence), celle d’être malin qui consiste à savoir saisir les opportunités de s’élever quand elles se présentent, grâce à l’intuition, parfois à la limite de l’honnêteté. Comme un QI élevé elle n’est pas donnée à tout le monde. Heureux les gens qui ont à la fois un QI élevé et qui sont malins. On ne peut pas les contrecarrer. Ils sont indestructibles. Jacques Attali pourrait en être un représentant. Fort QI, opportunisme et arrivisme.
Attali nous dit que la volonté est la qualité prioritaire pour ’arriver’. Je pense que si l’on possède le QI ou la malignité, pour réussir sa vie à la manière d’Attali, quand on vient de la base de la pyramide, avant la volonté il faut avoir une motivation, c’est à dire l’ambition de réussir quelque chose, ne serai-ce que celle de sortir de la misère, d’aucuns diraient de la médiocrité. Dans notre société cela ne sert à rien d’avoir une qualité quelconque si on ne possède pas l’envie de l’exploiter. Pour les jeunes issus de la bourgeoisie la motivation et la volonté sont souvent celles des parents qui ‘poussent’ leur progéniture vers les hautes sphères. Pour les autres jeunes il faut que la motivation et la volonté leur soit chevillée au corps pour surmonter les obstacles et les découragements qui les séparent du but qu’ils se sont fixés.
A tous les niveaux de la société, il y a plein de gens doués qui n’exploitent pas leur don. ‘Arriver’ dans la vie ne les intéresse pas. Ils veulent juste une vie pépère.
C’est quelque chose que ne peuvent pas comprendre les gens comme Attali : escalader la pyramide sociale, à partir d’un certain niveau c’est s’enfermer dans un panier de crabes. Ce n’est pas la lutte pour la vie mais la lutte pour le pouvoir. Tout le monde n’en veut pas. Il y a plein de gens doués qui abandonnent une vie aisée pour cultiver leur jardin à la campagne et se transformer en personnes qui ne comptent pas. Ces gens qui ne sont rien sont méprisés par les arrivistes comme notre président de la république.
Les motivations ne sont pas toujours claires ou conscientes pour ceux ou celles qui veulent ‘s’élever’ mais elles sont nécessaires. Il faut aussi qu’il y ait un espoir de réaliser son programme sinon c’est le découragement et l’abandon du projet. S’il y a motivation et espoir alors seulement intervient le besoin de volonté pour réussir car se hisser dans l’échelle sociale demande un travail dur et constant pendant des années quelle que soit la voie choisie. Et le travail c’est pénible. Cela demande de l’abnégation, donc de la volonté.
C’est là que notre prêcheur entre en contradiction avec lui-même, ce qui n’est pas fort pour une personnalité de sa qualité. Il reconnaît que la volonté est un don et que c’est même le don décisif puisque sans lui pas de réussite possible pour les pauvres. Peut-on reprocher à un pauvre de ne pas avoir le don de la musique, du dessin, des maths, que sais-je encore ? Pourquoi dans ces conditions lui reprocher, comme il le fait au début de sa chronique en le rendant responsable de son état, de ne pas posséder le don de la volonté, de ne pas être en quelque sorte un ‘élu’ ?
Sa conclusion est fumeuse à souhait. Après nous avoir démontré que tout dépend de la volonté et que la volonté est un don il nous explique ici que si les gens ne font rien par manque de volonté c’est bien fait pour eux. « La vie est magnifique à condition de la prendre comme elle vient », qu’est-ce que ça veut dire pour un pauvre, fils de pauvre, arrière petit-fils de pauvre, tous nés sans ce don supérieur qu’est la volonté ? « A condition de se révolter », ajoute-t-il, comme les gilets jaunes ?
Conclusion
Attali aussi intelligent qu’il soit n’a pas d’imagination. Sa conception de la vie est simple :
se battre pour être le premier et réussir sa vie, telle est la condition humaine. Si les pauvres sont pauvres c’est qu’ils se complaisent dans la pauvreté car avec de la volonté, qui est un don, on peut s’en sortir. Quant aux nantis, il va de soi que s’ils sont nantis c’est qu’ils le méritent.
Jacques Attali n’a rien inventé. Il se contente de réciter le bréviaire de la propagande capitaliste pure et dure : tant pis pour ceux qui ne sont rien. S’ils ne sont rien c’est de leur faute. Qu’ils crèvent.
Prochaine chronique le vendredi 18 octobre 2019