INVENTION ET INNOVATION

Un problème informatique a induit un jour de retard dans la publication de la chronique 73. Veuillez m’en excuser.  PéPé.

Chronique 73 du vendredi 6 septembre 2019

Invention et innovation

Il y a bien longtemps, après m’être servi d’un rasoir à main utilisant de simples lames de rasoir interchangeables Gillette pour couper mes premiers poils de barbe, j’ai succombé à la tentation de me payer un rasoir à main Gillette G2. Il est constitué de

Graminée

deux tranchants encastrés dans une pièce de plastique noir qui coulisse sur le manche du rasoir pour s’ajouter ou s’ôter. Comme je suis radin et que je n’aime pas jeter mon argent par les fenêtres en écoutant les sirènes de la modernité, je me suis rasé avec la même paire de tranchants pendant des mois et des mois jusqu’à ce qu’ils ne coupent vraiment plus de telle sorte qu’une plaquette de dix pièce de plastique m’a fait des années, si bien que lorsque je me suis enquis d’une nouvelle plaquette je constatai avec horreur que les plaquettes de Gillette G2 ne se trouvaient plus dans les magasins que je fréquentais.

Pourquoi ? Que s’était-il passé depuis mon premier achat ? Tout simplement un concurrent (Wilkinson, je crois) avait perfectionné le système Gillette il y a quelques années en surpassant le Gillette G2 à deux

Rassemblement 1

tranchants en incluant trois tranchants dans la pièce de plastique coulissante et interchangeable. Quel est l’argument de vente d’un tel système ? Un argument intuitif tout simple et même simpliste : « si deux c’est mieux que un alors trois c’est mieux que deux » ce qui coule de source pour pénétrer dans le cerveau poreux des consommateurs. On aurait pu dire aussi : « la première lame finit le rasage de la veille, la seconde accomplit le rasage du jour et la troisième prépare celui du lendemain », ce qui n’est pas un argument marketing plus stupide que le premier. Il aurait permis de vendre tout autant !

C’est la suite qui est extraordinaire ! Je n’ai pas suivi pas à pas la lutte entre les deux concurrents mais je sais que le marché m’offre aujourd’hui un rasoir à cinq tranchants augmenté de crèmes lubrifiantes et parfumées, le tout monté sur un manche design qui nous invite à voyager dans l’espace.

L’argument de vente ? Les publicitaires n’ont pas osé dire par exemple « que la  première lame terminait le rasage du dimanche, que la seconde exécutait le rasage du lundi, que la troisième le perfectionnait,

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que la quatrième et la cinquième préparaient le rasage des jours suivants », ils ont trouvé une raison toute bête pour inciter le consommateur à acheter cette monstruosité : « il n’y a rien de plus doux que de se raser avec cinq tranchants noyées dans la crème ». En réalité cette surenchère de tranchants n’est faite que pour résister à la concurrence. Aujourd’hui, si tu es dans la commerce à quel titre que ce soit et si tu ne ‘perfectionnes’ pas en permanence ta marchandise la concurrence te tue, tu es un homme mort. A quand le rasoir à six, à sept ou à dix tranchants ?

On a trouvé le doux nom  d’innovation pour désigner les étapes de cette course aux ‘améliorations’ pour résister à la concurrence. L’innovation n’est ni de l’invention ni du perfectionnement, c’est juste des modifications plus ou moins infimes d’un objet existant pour faire saliver le chaland qui aspire à être à la pointe du progrès et alimenter la pompe à fric des actionnaires. Si on dit au consommateur que c’est plus agréable de se raser avec un rasoir à cinq tranchants, quand il se rasera, il en sera convaincu et il conseillera l’instrument autour de lui. Malheur à celui qui dira le contraire.

L’innovation est la conquête d’un inutile que l’on n’ose plus appeler un progrès.

En 1895 Gillette a inventé le rasoir de sûreté à lame jetable ce qui était indéniablement un progrès par

Danseuse 10

rapport au coupe-chou dangereux et mal pratique avec cependant comme objectif de faire fortune en vendant un produit jetable et continûment remplaçable. Il a contribué à faire entrer les Etats Unis d’Amérique dans la société de consommation.

On confond souvent invention  et innovation.  L’inventeur est celui qui réalise quelque chose d’inédit. Marconi est l’inventeur de la téléphonie sans fil. Graham Bell est l’inventeur du téléphone. Pascal est l’inventeur de la machine à calculer. Edison est l’inventeur de la lampe à incandescence. Les frères Lumière sont les inventeurs du cinéma. Pasteur est l’inventeur de la microbiologie, etc. Avant eux on ignorait ces techniques qui existaient sous forme de potentialités insoupçonnées dans notre univers jusqu’à ce que des inventeurs les tirent du néant.

Les machines ou objets qu’ils ont construits pour la première fois n’ont rien de commun avec ceux qui ont la même fonction et que nous connaissons aujourd’hui. Les téléphones au début de leur vente dans le public étaient à fils, en bois, métal, bakélite, fixes et encombrants. Aujourd’hui il sont sans fil, en plastique et tiennent dans le creux de la main ; en y mettant le prix on peut même, avec eux, prendre des photos, trouver son chemin, écouter de la musique, regarder un film, trouver un cinéma, un parking ou un restaurant dans le voisinage, faire des calculs et gérer son budget. Entre le premier téléphone et celui que je décris il s’est écoulé plus d’un siècle.

La transformation ne s’est donc pas faite en un jour. Elle ne s’est pas faite non plus en une seule fois. Elle s’est accomplie pas à pas, par étapes, appelées innovations qui ne sont pour la plupart ni des améliorations ni des perfectionnements de la fonction téléphone mais des astuces pour résister à la concurrence dans un marché mondial, rendre obsolètes les modèles vieux de plus d’un an aux yeux des consommateurs et leur rendre désirables par la pub, la jalousie ou l’envie les objets, qu’on ne peut

Hélice de menthe

plus appeler des téléphones, munis des derniers gadgets, de la dernière forme et de la dernière couleur à la mode. En résumé les industriels, poussés par les actionnaires, sont condamnés à innover pour inciter les gogos à consommer. Entreprise, si tu n’innoves pas tu meurs ! Mais comment innover sur un objet saturé d’innovations ? Il y a des gens payés pour répondre à cette question !

Qu’est-ce qu’un inventeur ? Vraisemblablement un type à l’esprit curieux, débordant d’imagination qui arrive sur la terre au bon moment dans le bon pays où sa trouvaille sera prise en considération parce qu’apparemment elle facilite la vie et qu’elle est exploitable sur le plan commercial ou social. Probablement qu’au cours de l’histoire il y a eu des milliers d’inventeurs. Ils ont pu être brûlés pour sorcellerie ou hérésies. Ils ont pu provoquer des ricanements ou bien leur oeuvre a pu être considérée avec indifférence à leur époque. Pour être reçue avec bienveillance une invention ou une découverte doit arriver au bon moment dans le bon endroit. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’inventions qui ont changé la face du monde sont nées au dix-neuvième siècle aux Etats Unis d’Amérique (USA).

Dans ces mêmes lieux où la concurrence fait rage, des foules de gens, dont les inventeurs eux mêmes, soit par plaisir, soit par nécessité, cherchent à améliorer ou perfectionner sans cesse les inventions pour les rendre plus pratiques, c’est à dire plus vendables.

Vol d’oiseaux

C’est à qui fera la meilleure offre pour le meilleur produit au meilleur prix tout en satisfaisant la soif des actionnaires.

Ce qui conduit à l’exacerbation de la concurrence qui mène à l’inflation de l’innovation pour tirer un maximum de fric de la poche du consommateur qui ruine sa santé au travail pour rester dans le vent.

Prochaine chronique le vendredi 20 septembre 2019

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