Chronique 60 du vendredi 8 mars 2019
Le tapis roulant
Le tapis
Il n’y a pas si longtemps par rapport à l’existence d’homo sapiens, quelques siècles, un millénaire tout au plus, les Chinois ignoraient l’existence des Amérindiens qui ignoraient l’existence des Africains qui ignoraient
l’existence des Européens qui ignoraient l’existence des aborigènes d’Australie et ainsi de suite. Chacun jouait dans son coin en croyant être le
centre du monde.
Aujourd’hui, sauf exception, grâce à ce qu’il est convenu d’appeler le progrès technologique, toute personne à la surface de la terre un peu curieuse qui en a les moyens financiers a la possibilité de savoir instantanément ce qu’il se passe n’importe où dans le monde et de connaître qui y habite. Un attentat au fin fond de l’Inde, un raz de marée dans les îles de la Sonde, et on en est tout de suite averti.
Il y a plus important (plus grave ?), la mondialisation a standardisé notre univers terrestre sur le modèle occidental et établi des liens économiques étroits entre les différentes régions du globe créant ainsi une interdépendance entre elles si bien que lorsque la bourse de Tokyo tousse, celle de Francfort éternue. Quand il y a eu la crise des subprimes aux Etats-Unis le monde entier en a souffert. Quand la production de CO2 émise par la Chine ou les USA augmente, le climat du monde entier est concerné. Certaines îles semblent s’enfoncer dans la mer privant leurs habitants de leur sol et les obligeant à émigrer vers des terres d’accueil. Des zones se désertifient provoquant des migrations de population avec les inconvénients que l’on sait. Aujourd’hui et maintenant le sort de chacun dépend du comportement de tous.
Autrement dit tout se passe comme si l’humanité tout entière était charriée dans un mouvement d’entraînement sur un tapis avançant vers sa destinée, analogue aux tapis roulants que l’on trouve dans l’industrie ou l’agriculture
qui emportent des objets ou des denrées vers leur sort. La majorité des gens ne le sait pas et n’a pas conscience de ce mouvement, de même que la majorité des gens qui ne s’intéresse pas à la science, ou n’y a pas accès, n’a pas conscience de la rotation de la terre sur elle-même, de ses révolutions autour du soleil, de la révolution du système solaire autour du centre de notre galaxie et du déplacement de notre galaxie dans l’univers. Ce n’est pas parce que la majorité des peuples ne connaît pas et ne ressent pas ces mouvements qu’ils n’existent pas. Nous sommes impuissants à les modifier et ils ne nous empêchent pas de nous agiter individuellement et collectivement comme des insensés à la surface de cette boule microscopique à l’échelle de l’univers appelée terre, par nous, les humains.
De la même façon, ce n’est pas parce que la majorité des gens ne ressent pas le fait d’être lié à un tapis qui l’emporte vers sa destinée que le phénomène n’existe pas. Les gens et les peuples peuvent individuellement ou collectivement pleurer, crier, rire, s’écharper, se massacrer, en l’ignorant, ils sont malgré eux emportés par le tapis qu’on a le droit d’appeler l’histoire
contemporaine.
Où nous emmène le tapis ?
On peut se demande où va le tapis. Personne ne le voit, même avec de puissantes jumelles. Personne ne le sait. Ceux qui se proclament devins et disent en avoir le révélation sont des charlatans. On peut seulement faire
des hypothèses à la lumière du passé qui nous dit que toutes les civilisations meurent.
Il y a les hypothèses des optimistes inconscients de ce qu’est la nature humaine. Une première hypothèse compte sur la sagesse humaine pour nous faire arriver dans un monde apaisé et enchanté. Je n’y crois guère car les sages n’ont pas la parole, ils sont considérés par ceux qui président à nos destinées comme des emmerdeurs, des empêcheurs de gruger en rond, des ennemis de la liberté et du libéralisme. Peut être qu’on leur laissera la parole avant la catastrophe finale, mais il sera trop tard.
Une seconde qui compte sur la science pour nous sauver. Je n’y crois guère non plus, car toute action de la science pour contrer les effets néfastes d’une action humaine entraîne un effet pervers qui ne fait que compliquer les problèmes.
Il y a l’hypothèse des pessimistes : le tapis roulant nous (moi, vous, les habitants de la terre) emmène l’humanité tout droit dans le mur. Les
actions et les comportements de certaines parties de l’humanité entraîneront un réchauffement des climats à la surface du globe qui se traduira par des désertifications ou au contraire des humidifications excessives de régions aujourd’hui fertiles. Il en résultera des famines dans les zones actuellement les plus peuplées avec pour conséquence des conflits
entre nations pour la survie des peuples et le recours à l’arme atomique pour régler les démêlés.
Et alors poum ! Fin de notre civilisation. Il ne restera plus à la surface de la terre que quelques îlots de population épargnées par le hasard et à l’abri des radiations. Le cycle pourra reprendre : de nouvelles civilisations naîtront. L’humanité sera toujours vivante, mais autrement !
Il y a l’hypothèse farfelue, dite de science-fiction : l’intelligence artificielle que des gens ont créée pour rendre les objets intelligents va leur échapper et un jour elle va se passer d’eux pour devenir autonome et prendre le pouvoir. L’humanité sera son esclave. Si on imagine qu’on n’aura pas su ou pas voulu doter cette intelligence de sentiment alors elle sera purement rationnelle et saura agir sans problème pour maintenir une planète vivable
pour que ses esclaves continuent à exister pour la servir. Notre civilisation continuera. Elle sera au service de sa création.
Il y a l’hypothèse minimale dérivée du film 2001 : une nano-fraction de l’humanité sera enfermée dans des engins spatiaux pour aller coloniser la lune, mars, ou d’autres planètes hors du système solaire et perpétuer notre
civilisation. Comment seront choisis les heureux élus ? Qu’adviendra-t-il du reste de l’humanité ? Mystère !
Qui oriente la fuite en avant du tapis ?
Pour ceux qui ont conscience de l’existence du tapis qui nous emmène vers notre destinée, il semble mu par une force aveugle, irrépressible et folle qui nous échappe. La propagande capitaliste qui nous inflige son idéologie fait semblant de lui donner une origine qui nous transcende, d’essence quasi divine. Certains l’appellent l’économie libérale, d’autres l’économie de l’offre, d’autres la loi du marché. Et comme chacun sait, contre la transcendance et le divin, ya rien à faire ! L’idéologie capitaliste et son
catéchisme dominent le monde, même la Chine.
En réalité, on en revient toujours à la même cause que je décris depuis mes premières chroniques : la cupidité des dominants c’est à dire celle des riches, des super riches et des hyper riches qui forme la nébuleuse des actionnaires des multinationales et des fonds de pension qui engrangent les dollars et n’en ont jamais assez. Ils mettent leur intelligence à leur propre service et se moquent du bien commun. Ils nomment à la tête des pompes à fric que sont devenues les entreprises des exécutants dénués de scrupules,
qu’ils paient très cher, pour qui tous les moyens sont bons pour enrichir leurs mandants. Ils trichent. Ils corrompent. Ils musèlent les états. Ils n’hésitent pas à empoisonner leurs contemporains, à les rendre obèses, à les tenter continuellement, à les frustrer, à les stresser, à les mettre sur la paille, à les dresser les uns contre les autres, tout en leur expliquant qu’on vit dans le meilleur des mondes possibles. Ils épuisent les ressources naturelles et les gaspillent. Ils ne tiennent aucun compte des avertissements des scientifiques sur le changement climatique. Quoi qu’ils fassent, ils ne
prennent jamais de précautions pour la sécurité du monde. Ils éliminent tout ce qui se met en travers de leur chemin. Par leur comportement et leurs agissements ils emmènent l’humanité vers son futur, bon ou mauvais. Trump est un bon exemple de ce que je décris.
Certains craignent que ce système n’entraîne une généralisation du populisme qui déboucherait sur des régimes autoritaires dans tout les pays.
Cela ne dérangerait pas nos dominants car ils aiment l’ordre, savent corrompre, et les malins quoi qu’il arrive se débrouillent.
Cependant, quels que soient les régimes politiques qui s’installeront dans le futur, autoritaires ou non, le tapis roulant continuera son mouvement. Si les nantis ne changent pas de mode de vie et de pensée, il conduira inéluctablement dominants et dominés, riches et pauvres, beaux et moches, blancs, noirs, jaunes et rouges tous ensemble vers la catastrophe.
Comme quelques autres, je sais tout ça et je n’y peux rien. Je suis comme
tout le monde, je me laisse emporter par le tapis roulant vers notre destinée. Connaissez-vous le moyen de faire autrement ?
Prochaine chronique le vendredi 22 mars 2019